L'homme de bois - chapitre un - première partie

Publié le par Éric Laliberté

 

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ISBN 2-9808934-0-4
©  Copyright 2004 Éric Laliberté
Photo de la page couverture
©  Copyright 2004 Dr Netiva Caftori
Dépôt légal –
Bibliothèque nationale du Québec, 2e trimestre 2005
Bibliothèque nationale du Canada, 2e trimestre 2005
Imprimé au Canada
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
Notre société est-elle meilleure, maintenant que nous sommes devenus des consommateurs professionnels et repoussons toujours plus loin les limites de la croissance économique ? Tout dépend de ce qu’on entend par « meilleur ». […] Plus longues journées de travail, niveaux de stress plus élevés, familles disloquées, toxicomanies, enfants en danger – voilà des symptômes qui pourraient relever dans une certaine mesure, de la maladie de la consommation. Lâché sans surveillance dans le grand magasin du monde, ce peuple souffre de maux divers : fléau de trop posséder, rage et jalousie de ne pouvoir acheter.
 
David Suzuki,
L’équilibre sacré,
 Redécouvrir sa place dans la nature
 

 
Néant.
Le noir total.
Le vide absolu.
L’absence de tout.
Pas un souffle, pas une lueur d’espoir.
Le temps s’est arrêté, plus rien ne bouge.
Aucune émotion, aucune sensation,
Aucune pensée, aucun sens.
 
 
 
Un vide immense qui vous envahit l’âme,
qui vous avale de l’intérieur,
qui vous entraîne hors de la vie,
qui vous habite et se nourrit de vos moindres illusions.
Il dévore tout sur son passage.
Tout perd son sens, tout s’effondre.
 
 
 
On se  laisse étourdir, inconscient,
Par le tourbillon infernal de ce vide insignifiant.
Et quand une lueur de conscience vient à surgir, l’angoisse nous saisit.
Avoir conscience du vide qui nous habite est terrifiant.
Se découvrir déraciné, coupé du monde,
On croit mourir ! Et pourtant…

CHAPITRE UN
On dit que l’heure la plus sombre est celle qui précède l’aube. C’est l’effet que me fit cette matinée. Je m’entêtais à mener une vie qui ne me convenait pas pour correspondre à la  contexture sociale et je m’entêtai à mener cette vie jusqu’à ce que je lâche prise.
 
Ce matin du mois d’août, je n’eus même pas le courage de débuter la journée tellement ça n’allait pas. Ma poitrine se serrait à la simple idée de devoir affronter ce monde futile. Habituellement, après une bonne nuit de sommeil, je me réveillais dans de meilleures conditions. Mais ce matin-là, rien n’y fit, j’étais dans un état pitoyable.
 
Assis sur le patio, j’avalai un petit déjeuner et bu un café, le regard perdu, fixant je ne sais quoi aux limites de notre cour arrière. Je me sentais si mal que rien n’arrivait à me sortir de ce marasme. Je n’avais qu’à retourner me coucher.
 
Bien enroulé aux creux de mes couvertures, les vingt premières minutes passèrent dans un état neutre. Quel bonheur quand je parvenais à faire taire le vacarme qu’il y avait en moi. Cet état ne dura malheureusement que l’espace de ces vingt minutes. Aussitôt que j’en eus pris conscience mon malaise revint et je me mis à éprouver du dégoût pour moi-même. Je me sentais minable et misérable au cœur de cette vie.
 
Je me recroquevillai, ramenant les couvertures par-dessus ma tête.
 
Il fallait que ça cesse. Ça devenait insupportable de vivre de cette façon. La Vie m’appelait à quelque chose de plus grand et rien ne faisait sens dans ma vie. Même les choses qui auraient dû m’animer comme ma famille, mes amis, mon travail, rien de tout cela n’arrivait à me motiver. Je n’arrivais pas à trouver une place qui me convienne au sein de notre « dérapage social ».
 
Comme si ce n’était pas suffisant, au milieu de toute cette détresse surgissait la peur et la culpabilité. Elles me rongeaient sans cesse quand je m’attardais à chercher un sens à ma vie. Peur de ne pas être à la hauteur de ce que je choisirais, peur de choisir quelque chose qui ne tiendrait pas compte des intérêts de ma famille, peur de faire le mauvais choix, peur d’être moi-même. Coupable de ne pas faire vivre ma famille convenablement, coupable de ne pas avoir un travail que j’aime, coupable d’avoir des enfants et de ne pas savoir moi-même ce que je veux dans cette maudite vie !
 
Ma vie se résumait donc à cette dualité, toujours coincé entre désir de vivre et conformité aux exigences sociales. Face à ce dilemme, j’éprouvais une grande solitude et je sentais que je m’enfonçais de plus en plus dans le tourbillon de ce néant. Caché sous mes couvertures, la tête enfouie au creux de mon oreiller, je me laissai sombrer dans un profond sommeil.
 
C’est là que tout s’est terminé et que tout a commencé…
 
* * *
 
La forêt était dense ; de minces volutes de brouillard s’étiraient entre les arbres. La lune faisait briller chacune des fines gouttelettes suspendues dans l’air. Rien ne bougeait, tout était calme. Je n’apercevais pas la lune, mais elle était là, quelque part, pleine et ronde. L’air devenait palpable autour de moi. Aucun son, pas un bruit. Pas un craquement sous mes pas.
 
Je m’arrêtai quelques instants pour observer la situation et réalisai que je ne savais même pas comment j’étais arrivé jusque là. Je ne suivais pas un sentier, il n’y en avait pas. Il me semblait être très loin de toutes habitations. Aucune lumière aux alentours. J’étais seul au milieu de cette forêt, suspendu dans le temps.
 
La situation aurait dû être inquiétante. Pourtant, je ne ressentais aucune peur ; comme si je devais me trouver là, à ce moment précis. Un phénomène étrange semblait m’avoir guidé. J’éprouvais un état de bien être, d’apaisement. Je me sentais libre. Ma respiration était lente, mon esprit clair. Pour la première fois de ma vie les idées ne s’y bousculaient pas.
 
Je me rappelai le passage d’un livre. On y disait de faire confiance à son instinct, qu’il était le meilleur guide tout au long de nos expériences de vie. Comme il me semblait évident que j’étais arrivé jusqu’ici en suivant l’appel d’un sens que je ne me connaissais pas, je décidai de patienter et de voir ce qui allait arriver.
 
Tout doucement, une mélodie pris forme dans la forêt. La forêt exhalait cette musique, comme si elle l’eut transpirée. Elle montait du sol humide, s’écoulait lentement des plantes, flottaient sur les brumes qui se dispersaient. Au fond de moi, je sus que c’était le signal que j’attendais. Je laissai cette mélodie s’insinuer en moi et m’emplir de son souffle. Comblé, je la laissai me guider. Mes jambes se mirent en marche, lentement, animées par  ce souffle. Puis, de plus en plus sûr de moi, j’avançai d’un pas solide.
 
Au loin, une lumière s’insinuait délicatement entre les arbres. Elle s’infiltrait en minces faisceaux lumineux, faisant scintiller chacune des gouttelettes que la brunante avait déposées au cœur de la forêt. On se serait cru dans une pièce de Shakespeare.
 
Soudain, la lumière s’intensifia et orienta mon regard, me révélant la présence d’un arbre immense. Il se dressait, à quelques mètres de moi, baigné par une lueur ambrée.
 
La pleine lune éclairait toute la forêt maintenant, montant lentement dans le ciel ses rayons passèrent de l’or à l’argent. De là où je me trouvais, je percevais nettement le profil de l’arbre qui s’étirait longuement vers le ciel.  Son tronc faisait près d’un mètre de diamètre. Un véritable colosse qui s’imposait avec fierté. Je m’approchai pour l’observer à mon aise.
 
Cet arbre  avait quelque chose d’étrange. Une silhouette humaine semblait se dégager de ses traits.
 
Un bruissement d’aile détourna alors mon regard.
 
Un pic bois vint se poser sur l’arbre. Il l’observa quelques instants, se déplaçant rapidement tout en cherchant l’endroit où donner du bec. Une fois l’endroit repéré, c’est d’un coup de tête assuré qu’il s’élança.
 
Je n’avais jamais vu chose pareille. Des éclats de bois volaient dans toutes les directions. On aurait dit un film en accéléré. Rapidement, son travail prit forme. Il ne faisait pas que creuser, il sculptait le tronc de toute son ardeur. Bientôt, le rond d’une tête apparut, puis la forme d’un visage. On aurait dit que l’oiseau avait repéré la silhouette humaine qui se profilait à la surface de ce tronc et qu’il tentait de l’en faire jaillir. Comme s’il cherchait à libérer l’être qui se cachait sous cette écorce…
 
* * *
 
Je me réveillai tout en sueur. La journée était déjà très chaude. Les couvertures, que j’avais rabattues sur ma tête pour me cacher du monde,  m’étouffaient maintenant. Je les repoussai vivement. Je me passai la main dans les cheveux. Quel drôle de rêve ! Je regardai le réveil, il était onze heures vingt. Il fallait que je sorte, je n’en pouvais plus de toute cette chaleur. J’enfilai mon maillot et me dirigeai vers la piscine. La fraîcheur de l’eau me ragaillardit. Je fis quelques plongeons de plus et j’allai m’habiller.
 
La maison était vide. Brigitte était partie rendre visite à une amie et les enfants jouaient quelque  part dans le quartier. Je le voyais à une note laissée sur le comptoir. Je me fis un sandwich que j’avalai rapidement, puis je décidai d’aller marcher sur la piste cyclable. C’est l’un des rares endroits où l’on peut traverser toute la ville et avoir l’impression d’être en forêt.
 
Le moral me revint peu à peu. Sortir de la maison me fit encore plus de bien que la baignade. Il y avait un bon vent chaud comme je les aime. Le soleil tapait dur, mais l’air était sec. La cigale chantait à tue-tête et la bonne odeur de la terre réjouissait mes narines. Les arbres se laissaient bercer par le vent dans un doux bruissement. Entre eux s’ouvrait la piste qui me conduirait jusqu’au centre-ville, tout près de la vieille gare.
 
Comme c’était bon d’être en vie !
 
En ces moments, je sentais la Vie m’appeler de toutes ses forces et lorsque se produisait cette étincelle, cet « Appel » me semblait bien réel.  Il se traduisait toujours par un désir de vivre qui dépassait toutes les attentes que peut susciter notre société. La Vie allait bien au-delà de notre concept social et j’en étais persuadé lorsqu’Elle m’interpellait de cette façon.
 
Ainsi, les idées noires de la matinée m’avaient déjà quitté et ce rêve me laissait une étrange impression d’apaisement. Pourtant ce n’était qu’un rêve. Mon esprit vagabondait dans un monde surnaturel où les pics bois sculptaient les arbres. Cette idée me fit sourire et me rendit heureux.
 
Tout en continuant d’observer la nature, je me repassai les débuts de cette journée. Mon état de ce matin me troublait. Je sentais que la situation se détériorait. Je m’enfonçais de plus en plus dans cette vision sombre, comme si j’avais trop conscience de notre condition de vie et je ne savais pas comment m’en sortir. Par quel bout m’attaquer à ce mal de vivre ?
 
Pourtant, je pouvais l’identifier, je savais le nom qu’il portait. Je le désignais de différentes façons : société, structure sociale, organisation sociale, dérapage social, ordre économique… J’aurais pu lui donner quantité d’autres noms, mais, au fond de moi, il n’était que l’objet de ma dérive. Me reflétant sans cesse l’image du vide infini qu’il faisait monté en moi : le Néant !
 
Si j’étais un arbre, je ne me questionnerais pas de cette façon ! Je me contenterais d’être un arbre. Être trop conscient du sort que la vie nous réserve serait-il mauvais ?
 
Non ! Je ne pouvais me résigner à l’idée qu’il faille s’inscrire dans la structure sociale, telle qu’elle apparaissait, sans se poser de questions. Accepter le rythme qu’impose cette organisation ce serait… Yerk ! J’en ai des frissons juste à y penser.
 
Une fois que nous avons constaté l’absurdité de cette structure, que reste-t-il ? Je ne percevais que le Néant. Comment une structure peut-elle prendre autant d’importance et en même temps être aussi vide de sens ? Elle manque de sens, c’est certain, sinon le taux de suicides ne serait pas aussi élevé.
 
Comment se fait-il que chez ces peuples qui vivent de façon très rudimentaire, le suicide n’existe pratiquement pas ? Ils n’ont rien, aucun confort ! Ils vivent de façon misérable, ils manquent de tout…
 
Sauf, peut-être, de l’essentiel…
 
Leur façon de vivre trouverait-elle son sens en elle-même ? Alors que ce n’est pas le cas pour nous ?
 
Ce n’était peut-être pas ma vie qui était insignifiante après tout, mais la façon dont nous agglutinions nos vies autour de cette organisation sociale. Les choix de société, que nous avons faits, nous entraînent tous vers un abîme où ceux et celles qui se réveillent et refusent de voir la réalité en face préfèrent se suicider, ne voyant pas d’alternative à ce vide.
 
Quand nous avons constaté le Néant de notre organisation sociale, nous ne pouvons plus revenir en arrière et réintégrer le mode de vie promu par notre société. Sous cet éclairage, deux choix s’offrent à nous : l’éveil ou la mort. J’ai choisi l’éveil sans hésitation. Mais, encore faut-il savoir qu’il existe, cet autre choix. Et, s’éveiller ? S’éveiller à quoi alors ? Quelle alternative s’offre à ce que la société propose ?
 
Moi, il n’y a qu’une chose qui me tienne en vie : J’aime la Vie ! Je trouve ça beau, ici, sur terre et je sais qu’Elle m’appelle vers un monde meilleur.
 
* * *
 
(Suite dans L'homme de bois - chapitre un - deuxième partie)
 

Publié dans Extraits

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