Expérimenter «le privilège de la pauvreté» - le récit - (1 de 3)

Publié le par Éric Laliberté

Je suis partie de St-Jérôme à 6h00 le dimanche matin avec les oiseaux qui se relayaient pour m’accompagner pendant les premiers 30 km. J’y voyais presque un signe de la présence de François d’Assise m’encourageant à faire ce voyage.
 
Mon premier arrêt fut à la chapelle Notre-Dame-du-Bon-Secours dans le Vieux-Montréal pour ensuite reprendre la route en direction de Longueuil en traversant le pont de la Concorde.
 
Comme je vous l’écrivais dans mon dernier texte, j’ai l’impression d’avoir vécu une vie en résumé. Les débuts furent beaux comme l’enfance : l’émerveillement, le plaisir de se lancer dans la vie, la découverte. Dans l’après-midi, c’était déjà l’adolescence qui me guettait.
 
Arrivé dans Longueuil aux alentours de midi, j’y ai perdu beaucoup de temps. La piste cyclable n’était pas toujours bien indiquée, je la perdais, j’hésitais, je doutais, j’avançais, revenais sur mes pas, pour finalement retrouver ma route et continuer. C’était toujours agréable mais, quelques émotions négatives commençaient à pointer.
 
En fin d’après-midi, après avoir dépassé Chambly et St-Jean sur le Richelieu, la faim et la fatigue me gagnèrent. Je commençais à me trouver ridicule de faire ce pèlerinage. La gêne ou l’orgueil m’empêchait d’aller vers l’autre, de « m’abaisser à demander ». Étant quelqu’un qui déteste demander de l’aide et préfère s’arranger tout seul, ce voyage m’obligeait à dépasser ce trait de personnalité et créer un lien avec un inconnu qui allait au-delà de la simple conversation ou rencontre amicale. Je devais lui demander de l’aide!
 
J’ai été incapable de le faire de toute la journée. J’ai donc mangé des fleurs de trèfles et des framboises. Ça a aidé… un peu…
 
À 18h00, je suis arrivé à Farnham et me suis rendu au presbytère demander si je ne pourrais pas planter ma tente dans la cours arrière. La personne qui me reçoit, Mme Simone Courchesne, une dame de 70 ans environ, est locataire du presbytère de l’église St-Fabien qui fermera ses portes dans quelques jours. Elle passe un coup de fil à la personne responsable de la paroisse et m’obtient l’autorisation de planter ma tente. Quelle joie! Première demande et c’est une réponse favorable! Après m’être installé, j’ose aller lui demander une pomme. Elle me reçoit chez elle m’offrant quelques rôties et un café, en plus de ma pomme, et m’invite à revenir le lendemain matin pour le petit déjeuner. Accueillante et chaleureuse, Mme Courchesne m’a reçu avec beaucoup de gentillesse, merci à elle.
 
Si j’en reviens à l’image d’une vie en une semaine, j’ai rencontré Mme Courchesne au moment de l’adolescence, au moment où l'on doute, remet en question, où le sens de l’entreprise n’est plus aussi évident. Mme Courchesne a été cette personne qui, comme plusieurs jeunes ont la chance d’en rencontrer à l’adolescence, vous donne la confiance qu’il faut pour poursuivre. Son accueil et sa bienveillance ont su me rassurer dans mon entreprise et me donner le goût d’y croire et de persévérer.
 
Le lendemain matin, 10 juillet 2006, je reprends la route à 7h30 avec Mme Courchesne qui me salut de la main au bout du stationnement de l’église.
 
Encore une fois, tout l’avant-midi se déroulera très bien. C’est le début de la vie d’adulte. Ça va bien. J’apprivoise de plus en plus le trajet, je m’y retrouve plus facilement et je commence à m’ambitionner. Je pense même détourner mon trajet pour me rendre jusqu’à Québec. Aujourd’hui tout est possible! Alors je pédale et pédale et pédale. J’ai fait 165 km la première journée, je devrais bien pouvoir en faire autant aujourd’hui!
 
Mais, se pointe alors la section dite de la « Montagnarde »! Elle porte bien son nom. Et avec toutes les ambitions du jeune adulte qui veut gravir rapidement tous les échelons, je m’élance sur ces pentes pour atteindre le sommet le plus rapidement possible et me la couler douce en redescendant. Malheureusement, les montées sont très longues et les moments de gloires filant à toute vitesse dans des descentes trop abruptes, me laissent à peine le temps de reprendre mon souffle avant la prochaine montée. J’arrive à Magog épuisé cherchant un endroit pour me loger. On me suggère l’Abbaye St-Benoit-du-Lac, c’est le plus près, une quinzaine de kilomètres.
 
J’enfourche mon vélo en me disant qu’il me faudra tout au plus 45 minutes pour m’y rendre. Ce ne sera pas le cas. Les pires côtes de la journée m’attendent sur le chemin des Pères. À la dernière côte, je priais pour ne pas tomber, je n’aurais pas eu la force de me relever.
 
Je suis arrivé à l’accueil de l’Abbaye épuisé, tremblant et brûlé par le soleil. Le père Garrett m’accueillit avec des yeux ronds d’étonnement. J’avais le visage rouge, le nez qui faisait presque une croûte tellement brûlé par le soleil, en sueur, dégoulinant et plein de poussière. J’arrivais en plein pour la fête de St-Benoit et celle-ci allait commencer dans quelques minutes. L’Abbaye était plein à craquer. En complétant le formulaire d’inscription d’une main tremblante, je me sens à bout de force et je comprends que je ne pourrai pas repartir le lendemain. Je demande à passer deux nuits, le père Garrett accepte.
 
L’accueil devait se faire en échange de service à la communauté de l’Abbaye, comme je leur avais proposé, mais c’est jour de fête… Ils n’ont pas voulu me donner de travail et ont préféré que je participe aux célébrations avec eux. C’est ce qui m’a permis de découvrir la règle de St-Benoit qui commence par un seul mot : Écoute.
 
J’arrivais à cette étape de la vie, l’âge adulte, où l’ambition nous mène parfois au « burn-out », où la Vie nous jette au tapis pour nous amener à revoir nos positions. Je me suis donc mis à l’écoute comme St-Benoit nous le recommande en entrant. Mais, pour écouter, il faut faire silence. C’est donc ce que j’ai fait pendant ces deux jours. Je suis descendu en moi et j’ai écouté ce qui montait.
 
Je courais après quoi? Qu’est-ce qui m’avait poussé à aller au-delà de mes forces de cette façon? J’étais parti faire ce pèlerinage en ayant en tête de m’ouvrir à une dimension différente de notre quotidien : « respirer, contempler, marcher, travailler, manger, boire, aller à la rencontre de l’autre, partager, discuter, être à l’écoute, méditer, prendre le temps » et je ne me donnais pas du tout la chance de vivre ces instants.
 
C’est St-Benoit qui m’a interpellé et m’a ramené à la réalité. En l’espace d’une quarantaine d’heures, dans ce silence, dans ce cœur à cœur silencieux avec Dieu, le calme revenait en moi. J’étais parti d’un rythme de vie effréné, m’étant laissé emporter par des sollicitations de toutes sortes dans mon entourage, et je l’avais emporté avec moi pour ce voyage. Ce n’est qu’en allant au bout de mes forces que j’ai pu me libérer de cette emprise et retrouver l’état d’esprit qu’il me fallait pour poursuivre.
 
Le soir, dans ma chambre de l’Abbaye, je relisais ce passage d’un texte de Giacomo Bini, franciscain, qui s’adressait aux Clarisses. Voici ce qu’il disait :
« La logique évangélique de la non-efficience, de l’insignifiance, de l’absence de résultats apparents est toujours déconcertante : elle le fut pour les disciples de Jésus et le sera pour tout croyant durant son pèlerinage terrestre. Le « monde » ne peut accepter cette logique, car notre monde repose précisément sur l’efficience et celle-ci, dès lors, provoque une série de « psychoses », le souci du résultat, du « faire », de l’apparaître, d’assurer le présent et l’avenir, du succès dans tous les domaines : profession, affectivité, affaires, réputation… […] Toute activité missionnaire sera donc soumise à la logique de la semence qui doit mourir pour porter son fruit. »
 
Mourir à soi-même…
Je ne pouvais prendre cette route qu’en mourant d’abord à moi-même pour vivre pleinement ce pèlerinage dans la pauvreté.
Voilà ce que j’avais dû faire en allant au bout de mes forces.
Maintenant, je pouvais reprendre la route en posant un regard plus clair sur ce que j’étais en train de vivre, tout en restant à l’écoute.
 
Éric Laliberté

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